Les aveyronnais

Terre d'Aveyron - Terre d'émotions

Par Le 06/10/2013

Terre Commune par StudioTwentyone

 

Découvrir l'authenticité d'un paysan aveyronnais avec son amour de la nature et de faire partager  à ses enfants son histoire et celle de ses aieux et transmettre cette mémoire aux jeunes qui eux même la transmettront...

habitat caussenard

Par Le 06/10/2013

Habitats caussenards



L'habitant du causse a un rapport évident avec la pierre, omniprésente. Dans ce pays où l'épierrement des champs et la construction de murets précédaient et accompagnaient le travail de la terre, le paysan était aussi bâtisseur. Jusqu'au début du XXème siècle, le recours aux professionnels du bâtiment semble rare. Il était évidemment plus économique de construire soi-même (en général au printemps) quitte à faire appel à un maçon lorsque le mur menaçait de s'écrouler.



Des maisons bâties comme des chapelles romanes

L'arc et la voûte sont les éléments les plus caractéristiques et les plus spectaculaires de l'architecture caussenarde, liés à une faible occupation de l'espace au sol et une disposition en hauteur. Dans les vallées, si le rez-de-chaussée était toujours voûté, les étages ne l'étaient que très rarement. Sur le causse, par contre, on trouve souvent deux, voire trois, voûtes superposées. Ce style est employé pour l'ensemble des bâtiments (maison, bergerie, granges et annexes), accompagné de tout un répertoire de formes uniques et variées. La maison caussenarde obéit à un schéma simple et général : elle superpose citerne, bergerie, habitation et grenier sous le même toit.

Au rez-de-chaussée, la voûte de la bergerie est en plein-cintre, parfois surbaissée pour agrandir le volume utile. Elle isole l'étage des vapeurs d'amoniaque que dégage le troupeau. Elle permet par ailleurs de maintenir un certain équilibre thermique face aux importantes variations climatiques. La bergerie et sa voûte constituent ainsi un "matelas" isolant appréciable pour l'habitation, dans une construction sans fondations, reposant directement sur le sol. Elle se présente sous la forme d'un long tunnel voûté, éclairé par d'étroites ouvertures verticales.

Au-dessus de la bergerie, une voûte en ogive couvre l'habitation et supporte la toiture. Cette forme verticale d'ogive épouse au plus près les pentes du toit et offre un volume plus facilement aménageable. L'intersection des deux voûtes, sur un espace carré, produit une voûte d'arêtes, système appréciable car reposant sur quatre points d'appui, et non sur des murs continus. On peut donc libérer de grandes ouvertures, économiser des pierres et gagner de l'espace. Ces voûtes sont presque indestructibles, même quand leur couverture a disparu.

On accède à l'habitation par un escalier extérieur et un perron, portés par la voûte d'entrée de la bergerie. Ce perron (balet), souvent coiffé d'un toit, est plus qu'un simple passage : on s'y installe les soirs d'été pour divers petits travaux domestiques ou artisanaux. On entre directement dans la cuisine, véritable "salle de séjour" de la famille. La cheminée est monumentale, occupant généralement tout un mur. Une niche évidée dans un mur contient l'évier de pierre, toujours éclairée par une petite fenêtre. Selon les cas, une ou deux chambres font suite à la cuisine.

La toiture est couverte de lauzes, plaquettes calcaires taillées en écailles, de 2 à 5 cm d'épaisseur, 30 à 40 cm de long, 20 à 25 cm de large. Préparées au sol, elles sont posées en rangs horizontaux et calées avec de la terre et de la pierraille. Les lauzes de bordure sont les plus larges, maçonnées au faîte du mur. Puis chaque rangée vient recouvrir aux deux-tiers la rangée inférieure. Sur le causse, l'emploi de la voûte de pierre permet de supporter le poids d'une telle toiture (les murs porteurs sont larges, environ 1 mètre) et, l'étanchéité de la lauze étant toute relative, de garantir une meilleure isolation.

En aucun cas, l'habitat ne saurait empiéter sur les rares et précieuses terres cultivables. Les maisons sont construites le plus souvent sur les terres arides, ou même directement sur le rocher, en bordure des terres labourables. D'autre part, le climat rude et la faiblesse des protections naturelles contre les intempéries, ont contraint les hommes à profiter de la moindre cuvette pour construire la ferme, qui se ramasse sur elle-même en tournant le dos au nord pour s'ouvrir largement vers le sud et l'est. Les différents bâtiments sont répartis en U autour d'une cour qu'ils abritent ainsi du vent.

Si ce portrait correspond à une sorte de schéma-type de la maison caussenarde, il ne peut rendre compte de l'extrême diversité de cette architecture pourtant sicontraignante. Le plus surprenant est sans doute que face à des problèmes aussi redoutables que l'équilibre des voûtes, et avec des moyens aussi rudimentaires, chaque constructeur ait marqué sa maison de sa personnalité et l'ait imprégné d'un sens inné de l'harmonie.

Si, contrairement à une idée répandue, les bâtiments ne sont presque jamais fortifiés, ils n'en apparaissent pas moins comme de fortes structures défensives. Construits tout de pierre, ils atteignent à un rare niveau de mimétisme, transposant en formes architecturales les formes naturelles inhérentes au causse.

Aujourd'hui toutes ces maisons ont été aménagées et modernisées pour les rendre plus conformes aux exigences actuelles de confort (chauffage central, équipements sanitaires, agrandissement des ouvertures ).

Habitats modernes et alternatifs

Il arrive aussi souvent que ces vieilles bâtisses, fermes ou habitations ne suffisent plus aux normes du confort actuel. Difficiles à isoler et à chauffer, coûteuses du point de vue de l'entretien et mal éclairées, certains leur préfèrent quelquefois le confort lisse des constructions modernes, d'autant que ces nouvelles constructions permettent aussi aux jeunes générations de trouver leur espace propre au sein d'une même explotation agricole.

D'autres ont fait le pari de l'autoconstruction et d'un habitat aussi économique qu'écologique. Pour exemple les maisons de paille dont la première a fait l'objet d'un chantier collectif au CUN en 1979. Les ballots de paille sont disposés à l'intérieur d'une ossature en bois et reçoivent un enduit extérieur et intérieur. Il forment une isolation efficace et à bas prix. Ce type de construction n'est plus tout à fait expérimental puisque d'autres maisons de paille ont vu le jour depuis sur le Larzac.

Le CUN avait investi aussi dans une éolienne qui fonctionne toujours actuellement et qui alimente le gîte en énergie électrique. Ce matériel arrive néanmoins en fin de vie. Récemment, des installations de chauffage solaire ont été mises en place chez des partculiers avec succès. Si l'avant garde de la construction alternative a essuyé quelques plâtres, on peut dire que ces expériences ont été nécessaires, les améliorations techniques actuelles rémédiant aux défauts de jeunesse des premières installations.

Villages fortifiés, hameaux et fermes isolées

Jusqu'au XVII e siècle, l'habitat caussenard est resté soumis à des principes venus du Moyen-Âge : concentration en villages fortifiés par l'ordre des Hospitaliers (La Couvertoirade, St-Eulalie, La Cavalerie.) et en hameaux (juxtaposition de petites unités d'exploitation de plan et d'organisation similaires, avec citernes, aires à battre et four à pain, le plus souvent communautaires).

Dès la fin du XVI e siècle, mais surtout au XVII e , le Larzac connaît une première rupture de son système traditionnel agricole. Le transport par roulage et le développement d'activités pré-industrielles font du Larzac en carrefour routier important et donnent une dimension nouvelle à son économie. C'est à cette époque que la ferme isolée, telle que nous la connaissons encore aujourd'hui, commence à apparaître. Mais rien ne distingue ce nouveau lieu d'exploitation de l'ancienne ferme de village, si ce n'est l'adjonction des équipements habituellement communs (four, aire, citerne), indispensables dans la situation d'autarcie de ces nouvelles installations.

Grottes aménagées et habitations troglodytes

On trouve quelques grottes aménagées en bergerie (Le Sot), en cave (Beaumescure) ou en habitation (Clapade). Il existe quelques habitations troglodytes aménagées contre une paroi rocheuse (Les Beaumes).

 

 

Notes :

Extraits de la plaquette "Maisons du Larzac", éditée par l'Ecomusée du Larzac (texte de Nicole Andrieu et Jean Milleville), disponible auprès de l'APAL. Photographies de cette page : © Escappade.com

L'Aveyron au temps de la terre

Par Le 05/10/2013

L'Aveyron, au temps de la terre

L'article de Médiapart

Mon commentaire: Je vous conseille de ce magnifique livre.

Histoire de paysans mais aussi d'artisans et commercants sans oublier les fonctionnaires. Ce qui les relie la Terre d'Aveyron et leur Terroir.

PHOTOGRAPHE : JEAN RIBIÈRE

Les photos ci-dessous ont été prises au milieu du siècle dernier. Elles donnent la mesure du bouleversement de la France en 60 ans. Sélectionnées parmi un fonds d'archives de plus de 1 300 clichés signés de ce photographe renommé de l'après-guerre, elles sont extraites du livre L'Aveyron, le temps de la terre, 1950-1960, photographies de Jean Ribière, paru aux éditions du Rouergue, les longues légendes très érudites qui les accompagnent en faisant aussi un véritable livre d'histoire.

  1. © Jean Ribière

    01

    Au marché aux bestiaux de Villefranche-de-Panat. Un paysan mène sa vache. Sur le parking, uniquement des fourgons et 2CV Citroën, véhicules à tout faire de la France des années 1945 à 1970.

  2. © Jean Ribière

    02

    Sur la route de l'école. Les enfants font quelques kilomètres à pied pour se rendre en classe. Culottes courtes et blouses de rigueur, galoches aux pieds pour l'un, la gibecière et sans doute aussi la gamelle du repas de midi en bandoulière.

  3. © Jean Ribière

    04

    La lettre. Le facteur vient apporter le courrier dans les champs de l'Aubrac.

  4. © Jean Ribière

    05

    Charrette à foin, dans la région d'Estaing. L'agriculteur, juché sur le chargement, conduit les bêtes à la voix et parfois à l'aiguillon.

  5. © Jean Ribière

    06

    Une voiture à l'abri. C'est assez rare pour prendre la pose : les hommes de la famille posent pour immortaliser l'acquisition d'une voiture, une Peugeot. Même le chien est installé sur le capot.

  6. © Jean Ribière

    07

    Messe en plein air, 15 août 1961, Sauclières. Le socle de la croix sert d'autel à la célébration. Derrière le prêtre et les enfants de chœur, toutes les femmes portent un foulard : pas question d'assister à une messe tête nue.

  7. © Jean Ribière

    08

    Le crieur de Saint-Côme-d'Olt. Le crieur public est un employé municipal chargé de faire connaître à la population différentes informations : dates des réunions du conseil municipal ou des prochaines fêtes, arrêtés, coupures d'eau ou d'électricité. Ces fonctions sont en général réservées à des hommes qui ont eu des problèmes de santé. Celui-ci a perdu son bras gauche, vraisemblablement durant la guerre 14-18. Son tambour est aménagé d'un petit moulinet qui agite les deux baguettes.

  8. © Jean Ribière

    09

    Sur un marché aux bestiaux. Le personnage de gauche est le marchand, reconnaissable à sa grande blouse aux nombreuses poches. Celui de droite tient une longe repliée à la main, signe qu'il a vendu sa bête. L'achat des animaux se fait en espèces, sans facture.

  9. © Jean Ribière

    10

    Procession de Saint-Fleuret, à Estaing. Micheline Ribière, journaliste et femme du photographe, appelait ces enfants « les petits curés de l'ancien temps ». Ils passent devant l'affiche annonçant les fêtes de Saint-Fleuret de 1956.

  10. © Jean Ribière

    11

    Une piqueuse de Millau. Dans un atelier de gantier, une ouvrière, payée à la pièce réalisée. Le pouce du gant, coupé séparément, nécessitait à l'assemblage une certaine dextérité.

  11. © Jean Ribière

    12

    1946. Jean Ribière, devant sa moto, consulte une carte de la région. Jean Ribière, photographe des années 1940-1980, avait créé sa propre agence et vendait ses reportages à L'ExpressL'Aurore,Paris Match. Il a séjourné à plusieurs reprises dans l'Aveyron, s'intéressant en particulier à la vie rurale et aux petits métiers. Sa femme, Micheline, se chargeait d'écrire les textes de leurs reportages.

    Aveyron au temps de la terre, 1950-1960
    Photographies de Jean Ribière

    Marie-Claude Dupain Valaison et Hélène Tabès,

    Éd. du Rouergue

    120 photos, 160 pages, 25 €

Une Terre l'Aveyron

Par Le 05/10/2013

Les aveyronnais, l'esprit des conquérants
 

Ci-dessous les premières pages de l'ouvrage du même nom de Daniel CROZES et Danielle MAGNE  paru en 1993 aux éditions du Rouergue (avec l'autorisation des éditions du Rouergue)
 
J'ai désiré présenter ces pages qui m'ont paru être une fidèle représentation du caractère aveyronnais

 
 
UNE TERRE, UN DESTIN

« Encore un Aveyronnais ! » s' écrie-t-on dans une rue de Paris, Toulouse, Montpellier, New York ou Pigüé en Argentine, voire sur la place Rouge de Moscou, lorsque du brouhaha jaillit soudain l'accent rocailleux du Rouergue, reconnaissable entre mille et une intonations. Comment expliquer cette omniprésence qui étonne, agace, ravit et intrigue beaucoup? Doit-on invoquer la loi du nombre? 275 000 Aveyronnais dans le département, 320 000 à Paris, plusieurs dizaines de milliers installés dans les régions de France et à l' étranger. Est-ce suffisant pour s'imposer, et susciter tout à la fois admiration et jalousie? Les Bretons les surpassent nettement en nombre, quoique moins organisés hors de chez eux. En revanche, les Aveyronnais peuvent rivaliser de force avec les diasporas basque ou corse.

De Normandie, de Franche-Comté, de Provence, d'Aquitaine ou du Nord, quelle image retient-on de l'Aveyron? Généralement, le mot est associé au fromage de Roquefort, au couteau de Laguiole, au cardinal Marty et à Raymond Lacombe. Dans ce raccourci, on retrouve l'essentiel: les produits-phares dont la notoriété dépasse les frontières françaises, et les hommes qui incarnent les valeurs traditionnelles, l'une et l'autre liées: l'Eglise et la paysannerie. Ainsi, se dessinent l'identité d'un département dont les limites recouvrent l'ancienne province du Rouergue, et la personnalité de ses habitants qui appartiennent à une vieille race rivée à la terre. L'Aveyron constitue un pays à part entière avec une réalité géographique, un groupe humain, une communauté de destin, une langue, des coutumes.

Une diversité de paysages et des nuances de caractère

Où le situer? En Auvergne? En Languedoc? Dans le Midi toulousain? Toujours resté à l'écart de ces ensembles régionaux dans lesquels il ne se reconnaît pas, le territoire aveyronnais - cinquième département français en superficie - occupe une place originale au sud du Massif central dans la mesure où il ne forme pas un bloc naturel avec des contours précis mais rassemble une mosaïque de paysages, de terroirs, de climats différents. Il ne tire pas son unité de la géologie mais du peuplement et de l'histoire. D'où des contrastes physiques surprenants - la neige en avril sur l'Aubrac et les cerisiers en fleurs dans la vallée du Tarn - que l'on peut constater en parcourant le pays, du nord au sud ou d'est en ouest. Depuis plus de deux millénaires, ils influent sur le caractère des hommes et leur destinée.

Au sein des plateaux qui composent les pays du Rouergue, plusieurs ensembles se dégagent. Tout d'abord, les hautes terres. Au nord, les monts d'Aubrac s'étagent jusqu'à 1 470 mètres ; au centre, les puechs du Lévezou culminent à 1 000-1 100 mètres tandis qu'au sud, certaines parties élevées des Grands Causses (Larzac, Causse noir) ou les abords des monts de Lacaune avoisinent aussi cette altitude. Une seconde zone regroupe des plateaux compris entre 500 et 800 mètres, dans les Ségalas et les Causses mineurs. Enfin, la troisième se trouve déterminée par le tracé des cours d'eau qui modèle des gorges abruptes dans le cas du Tarn, de la Truyère et du Viaur, ou des vallées alluviales sur une partie de la rivière comme l'Aveyron en amont de Rodez ou le Lot dans le voisinage d'Espalion.

Plus que montagneux - le terme « montagne» ne s'applique qu'à la région située au nord du Lot - l'Aveyron est accidenté et truffé de dénivellations atteignant parfois 400 mètres, qui séparent les plateaux des vallées et créent des difficultés de communication. A chaque terroir, correspondent des handicaps plus ou moins bien surmontés par ses habitants qui ont dû s'adapter ou partir. L'homme des vallées bénéficie d'une position abritée, mais doit compenser les effets de la pente. Echappant à l'érosion des sols, les plateaux subissent un climat plus rude, tandis que les étendues montagneuses affrontent le froid, la neige et la tempête pendant l'hiver. La lutte permanente contre la terre et le ciel qui n'a cessé d'aguerrir les hommes et de les durcir au contact de l'effort, est une constante qui s'inscrit parmi les raisons de l'exode.

La diversité des roches - volcaniques dans l'Aubrac, calcaires sur les Causses, cristallines en Viadène, Ségala et Lévezou, grès rouge à Marcillac ou à Camarès ­introduit des nuances dans un caractère que modèlent les éléments naturels. La plus flagrante concerne le montagnard et le méridional, qu'Amans-Alexis Monteil relève, en 1802, dans sa Description du département de l'Aveiron : «On remarque dans le midi une vivacité qui contraste avec cette gravité de corps et d'esprit si ordinaire dans le nord; tel est en effet la pétulance du peuple dans cette partie du département, qu'il court lorsque les autres marchent, qu'il tranche ce que les autres dénouent. Il frappe et menace, répond et écoute. Par le jeu animé de sa physionomie, avant de parler, il a dit. En un mot, ailleurs, l'homme a été pétri de limon; ici de salpêtre ... »

L'habitant de l'Aubrac - que l'on dit solide comme le granite et le basalte sur lesquels il vit, ou comme le taureau qui trône dans les pâturages - passe effectivement pour conservateur, dur au travail et près de son argent, mais il est animé d'un esprit d'entreprise. A l'inverse, l'Aveyronnais du sud aime moins le risque et recherche la  sécurité de l'emploi, y compris en quittant son village lorsqu'il entre dans la fonction publique. Pendant près d'un siècle et jusqu'à une date récente, les régions de Millau, Séverac, Saint-Affrique ont bénéficié des avantages procurés par quatre activités économiques sûres : la production de lait de brebis pour Roquefort, les métiers du chemin de fer, la construction et la mise en eau des barrages d'EDF dans la vallée du Tarn, et la ganterie de Millau. Aujourd'hui, seul Roquefort tient encore la barre et les créateurs d'entreprises se manifestent peu, alors que l'Aubrac relève les défis et transforme ses handicaps en atouts.

Des facteurs d'unité: les Celtes, la langue d'oc, l'isolement

Sous cette variété qui laisserait supposer un éclatement et une entité artificielle, apparaissent des ferments unificateurs : l'origine, la langue, les traditions, les mœurs. A la base de son arbre généalogique, tout Aveyronnais place la souche du peuple rutène. La colonisation celte commence avec les migrations de l'âge du fer, entre les VIlle et VIe siècles avant notre ère. Les Rutènes - dont le nom signifie « les blonds » ou « les roux », ce qui n'influe nullement sur la couleur de leur chevelure! - prennent alors possession d'une contrée qui s'étend des montagnes de l'Aubrac aux causses du Larzac, de la Montagne Noire et des basses plaines du Tarn et de l'Agout aux Cévennes et au Gévaudan. Quelques siècles plus tard, sous l'occupation romaine, leur zone d'influence se scinde en Rouergue - avec Segodunum (Rodez) comme capitale - et Albigeois.

Depuis, les frontières du Pagus Rutenicus des Gaulois qui ont servi à déterminer le territoire du diocèse et du comté de Rodez, demeurent quasiment immuables, le Rouergue s'effaçant devant l'Aveyron en 1790. Peu de « pays» en France ont connu une telle stabilité. Aujourd'hui, on constate que ce tronc commun constitue toujours un puissant élément fédérateur sans lequel l'unité du département volerait en éclat. En effet, les sollicitations et les tiraillements ne manquent pas: Millau et Saint­-Affrique résistent à grand-peine à l'appel de Montpellier et de la Méditerranée, Villefranche et Decazeville se tournent naturellement vers le Midi toulousain, l'attraction de l'Auvergne et de Clermont-Ferrand s'exerce jusque dans le Carladès.

Sur la mystérieuse échelle de l'évolution de l'homme, les scientifiques invoquent l'origine celte pour ranger les Aveyronnais parmi les brachycéphales de type alpin, généralement dotés d'un crâne arrondi aussi large que long. Plus concrètement, certains les comparent aux Ukrainiens, ou encore aux Bretons. Les paysans aveyronnais sont aussi têtus, accrocheurs et pugnaces, poussant même le souci de la perfection - confessent les leaders syndicaux - jusqu'à les imiter afin d'améliorer leur productivité. Les rapproche également le sentiment religieux. Pendant des siècles, l'Eglise fut en Rouergue - socle de piété - omnipotente et omniprésente, seul le calcaire des Causses méridionaux s'avérant perméable à la Réforme. Au XIXe siècle, le pape Pie IX ne qualifie-t-il pas l'Aveyron de Bretagne du Midi?

Comme le breton et la foi ne font qu'un, la langue d' oc reste elle aussi liée à la pratique religieuse. Pendant longtemps, elle a permis au clergé diocésain de propager les Evangiles dans les paroisses tandis qu'elle alimentait le réservoir des formules toutes faites de la sagesse paysanne, proverbes glorifiant la patience et l'ardeur au travail, l'amour de la famille. Survit aujourd'hui dans les campagnes un dialecte qui mêle l'héritage de la langue des troubadours de la cour des Comtes de Rodez au français imposé peu à peu par le pouvoir. D'aucuns - la majorité - le nomment patois ; d'autres préfèrent le terme de « langue d' oc » qui nous paraît le mieux approprié; une minorité enfin le qualifie d'occitan, vocable qu'il convient de réserver avant tout à la littérature. Il n'est pas inutile de relever - en dépit de quelques variantes de vocabulaire - l'homogénéité du parler rouergat de l'Aubrac aux Causses et des franges du Quercy au Ségala, face aux autres déclinaisons de langue d' oc - le cévenol, le carcinol, l'albigès, l'auvergnat - qui l'entourent.

La langue d'oc a été la langue maternelle des Rouergats jusqu'à une époque avancée du XXe siècle. Voici quarante ans encore, certains enfants de cinq ans entraient à l'école primaire du village sans connaître un seul mot de français. Aussi, en exil, la moindre expression d' oc passe-t-elle pour un précieux signe de reconnaissance comme en témoigne la mésaventure survenue avant-guerre à une vieille femme de Prades-d'Aubrac. Invitée par son fils émigré à Los Angeles où il a réussi dans la restauration, elle quitte sa ferme pour la première fois et part - toute vêtue de noir comme les paysannes du Rouergue - pour les Etats-Unis.

Une fois parvenue à Los Angeles, la voyageuse se sent perdue dans cette grande ville où elle ne peut se faire entendre des habitants qu'elle ne comprend pas. Installée près d'un pont, elle brandit un bout de papier sur lequel figure l'adresse de son fils, et interpelle les passants: « Parlas-tu patés ? » [ Parles-tu patois? ] Une journée durant, elle répète inlassablement la même question. Le soir venu, quelqu'un s'approche enfin d'elle et lui dit: « Que fas aqui la mamèta ? » [ Que fais-tu ici la mamète ? ] « Saï perduda. Saï venguda veire l'enfant. » [ Je suis perdue. Je suis venue voir le fils. ] Le bon samaritain, originaire de Mur-de-Barrez, s'empresse de la conduire chez son fils. A Prades-d'Aubrac, nul n'a oublié la mésaventure.

La pratique répandue de la langue d' oc est à rapprocher de la volonté de ne pas se fondre à la culture dominante - inculquée par l'Etat - en conservant ses spécificités, exprimées entre autres par le chant et la danse. L'isolement, joint à des conditions de vie et de travail difficiles, y a contribué. A l'écart des grands courants d'échanges, les hautes terres se sont protégées de l'intrus même si elles n'ont pu échapper à l'invasion arabe et à l'occupation anglaise. Bien que l'une et l'autre ne l'aient pas modifié fondamentalement, le caractère aveyronnais en conserve l'empreinte. Les Maures semblent avoir légué un trait latin et méridional qui incline à la faconde dans le sud plus ouvert à la lumière, à 1 'humeur fantasque, à la poésie. Sans pour autant ranger le Caussenard et l' homme du Rougier parmi les personnages de Pagnol, certains décèlent dans l'influence sarrasine une prédisposition à l'art de la rumeur.

A l'image de certaines vallées montagnardes des Pyrénées qui subissent une situation analogue, le Rouergue s'est mal intégré à la Nation - il fournit au XIXe siècle une proportion importante de déserteurs et d'insoumis - ses habitants éprouvant le sentiment de constituer un groupe humain à part. Ce trait persistant explique l'égocentrisme et le narcissisme des Aveyronnais qui reportent leur intérêt sur leur seule communauté, y attirant constamment l'attention des autres. A Rodez, à Paris ou à l'étranger, ils ne paraissent posséder qu'un mot dans leur vocabulaire - l'Aveyron - et tentent de convaincre qu'il existe un paradis terrestre - le leur ­nombril du monde.

Beaucoup considèrent donc que naître Aveyronnais est une chance, un privilège.

D'aucuns n'hésiteraient pas aujourd'hui à s'inventer des ancêtres rouergats pour le plaisir de claironner une identité longtemps décriée et considérée comme une tare aux yeux de certains. A la fin des années 1940, en c1asse préparatoire de 1ettres à Paris, lorsque le professeur de philosophie évoquait le Sauvage de l'Aveyron, tous les khâgneux tournaient leurs regards vers l'élève - ou les élèves - de ce département. En guise d'héritage d'une époque révolue, demeure un vieux complexe paysan - celui du péquenaud à l'égard du Parisien ou des gens de la ville - que l'on essaie de chasser en s'acharnant à réussir pour prouver ses capacités et en répétant à qui veut l'entendre: « Il n'y a pas mieux que nous! »

Ce contentement de soi est un travers souvent relevé parmi les Aveyronnais expatriés afin de masquer une fragilité au niveau de leurs origines tant géographiques que sociales, véritable talon d'Achille chez quelques-uns. Ainsi, au cours des années 1950, l'un d'eux répond-il à une compatriote rencontrée par hasard dans une réception à Paris et qui lui avait demandé dans quelle région il était né : « Je suis d'un département qui n'intéresse personne, et qui n'a produit que Mgr Affre et moi. » La réponse contient tout à la fois narcissisme et auto-dénigrement.

« ••• une écorce dure et grossière ... »

La vie autarcique a induit des mœurs rudes, et infléchi des comportements qui amènent, au début du XIXe siècle, l'un des premiers préfets du département à écrire: « Il faut savoir trouver l'homme du Rouergue, caché sous son écorce dure et grossière. L'Aveyronnais a de l'âpreté, de la méfiance, de l'opiniâtreté, de la lenteur ; mais aussi de la force, de la finesse, de la réflexion. Il n'aime pas sentir la main de l'autorité ... » On dit les Aveyronnais très soucieux de leurs intérêts, âpres au gain, un brin roublards. Leur rapport à l'argent s'appuie sur une maxime à la logique irréfutable: « Le premier que l'on possède est celui que l'on ne dépense pas. » Voilà comment ont été gérées les fermes.

Si l'Aveyronnais se métamorphosait en animal, il apparaîtrait sous la forme d'un écureuil. Avec un montant de 58 000 francs par habitant (1992), il détient le record national de l'épargne, Paris intra-muros excepté où on le soupçonne aussi de peser sur les plateaux de la balance. Pour autant, au pays, il ne baigne pas dans l'opulence, se souvenant que la pauvreté est ciment d'unité et la richesse, facteur de division. L'ostentation ne le tente guère: il n'aime pas - selon une expression paysanne qui prend, ici, toute sa valeur - « faire le gros », c'est-à-dire parader. Toutefois, cette attitude comporte une ambiguïté car il ne lui déplaît pas d'acheter des choses chères pour montrer qu'il a réussi. Dans ce cas, il préfère être discret et éviter le tape-à-l’œil.

Parmi les traits dominants, on note encore l'honnêteté, le respect de la parole donnée et d'un code d'honneur. L'éducation reçue dans les familles et à l'école met l'accent sur la droiture. « Le curé et l'instituteur inculquaient la même formation civique de base» se souviennent les générations nées au cours des années 1930. Aucun Aveyronnais n'est fiché au « grand banditisme », et Jacques Genthial, directeur central de la Police judiciaire, rappelle volontiers que les deux malfrats tombés dans ses filets ont l'un et l'autre entendu « un vrai sermon de curé» les exhortant à retrouver le droit chemin. Cette intégrité vaut aux Aveyronnais de détenir la grande majorité des bureaux de tabac de la région parisienne.

Aujourd'hui, la ligne de conduite prend toujours modèle sur le célèbre « tope-là» qui scellait, sur le champ de foire, l'entente du paysan et du maquignon. Tous deux s'engageaient à honorer le contrat verbal. Si l'un d'eux manquait à sa parole, la « justice de Laguiole» réglait le différend, à l'écart des regards curieux et sans témoins, ainsi que l'atteste cette affaire survenue sur la montagne. Avant la dernière guerre, un cantalès de l'Aubrac - chef du buron - infligeait de terribles brimades aux rouls, gamins de 12 à 15 ans, corvéables à merci pendant toute la durée de l'estive.

Le colosse mesurait près de deux mètres, et leur demandait d'araser les taupinières parsemant les pâturages. Lorsqu'il jugeait que les monticules de terre n'avaient pas été suffisamment abaissés, il commandait aux garçons de les aplanir avec le nez, les humiliant devant les hommes du buron. Quelques années plus tard, les anciens rouls se réunirent un soir de foire d'Aubrac et emmenèrent le géant vers une draille isolée où ils le rossèrent copieusement à l'aide de leur drelhier, bâton ferré, taillé dans l'alisier, plongé dans la chaux vive et cravaté de cuir. Il mourut au cours de la semaine qui suivit. Nul ne souffla mot de l'incident, et personne ne fut inquiété. Lorsqu'une bagarre est examinée par le tribunal, les avocats du barreau de Rodez évoquent encore ces châtiments devant les magistrats médusés.

On ne badine pas avec le code d'honneur. Celui qui trahit est rejeté. La franchise paraît liée à la rudesse du pays mais elle n'exclut pas la méfiance et une grande prudence, parfois même un abord difficile. Une fois la confiance accordée, l'amitié - jamais gaspillée - reste fidèle et l'accueil devient cordial.

L'isolement pousse à l'endogamie et à une structure familiale qui consacre l'autorité de l'homme et son machisme. Le poids du patriarcat n'est pas une clause de style puisque plusieurs générations - les grands-parents, les parents et les enfants - vivent sous le même toit, besognent de concert toute l'année et s'entassent dans des pièces exiguës. L'aïeul exerce son pouvoir sur tous. En des temps de frugalité, le maître de maison compte sur la femme pour accommoder le moindre reste - jugeant ses capacités à tenir la table garnie - et assurer l'éducation des enfants, mais ne supporte pas qu'elle conteste ses décisions. Garante de la continuité de la lignée, elle occupe une place équivoque: reine et servante.

La femme prend une part prépondérante dans la réussite : elle travaille à égalité avec les hommes, applique quelques principes de gestion largement inspirés de la sagesse et du bon sens paysans, et contribue efficacement à asseoir les fondements de la maison. Courageuse et solide, elle paraît manifester moins de méfiance et de fausse malignité que l'homme, plus discrète lorsqu'elle veut ruser. En émigrant, les femmes pensèrent échapper à la soumission et à la dépendance. Mais, à Paris, le monde de la limonade reproduisit le modèle paysan, s'en inspirant pour la conduite des affaires et de la famille.

Condamnés à émigrer au XIXe siècle

Le penchant migrateur des Aveyronnais n'est pas le moindre de leurs paradoxes.

Repliés sur eux-mêmes, vivant parfois hors du temps pour certaines communautés rurales du siècle dernier, les Rouergats pratiquent l'ouverture sur le monde extérieur, et partent loin de leurs villages. Aux côtés de paysans ignorants et analphabètes, on décèle la présence d'une poignée d'éléments dynamiques que l'inconnu ne rebute pas. Le groupe humain n'est peut-être pas si figé qu'on veut bien le dire.

Pendant plusieurs siècles, le mouvement migratoire demeure à l'état sporadique, entraînant les plus hardis sur les routes dans le sillage des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle pour les colporteurs ou les artisans du Moyen Age, poussant les hommes de peine sur les chemins de l'Espagne pour y accomplir de dures besognes. Les lointains n'attirent alors qu'une minorité - des clercs, des bourgeois, des nobles­ en mission de propagation de la foi, en quête d'aventure ou de fortune à travers le négoce sur les mers et dans les îles. Le départ des voyageurs, des mercenaires, des explorateurs - au XIXe siècle - des jésuites, des marchands protestants de Millau et de Camarès ne constitue qu'un épiphénomène, et contribue très modestement à l'évolution des mentalités.

Dans leur majorité, les -Rouergats sont casaniers jusqu'au début du XIXe siècle, puis les déplacements réguliers prennent de l'ampleur dans les campagnes et commencent à préparer l'exode des années 1875. La communauté perpétue les habitudes prises sous l'Ancien Régime et cherche de plus en plus des ressources d'appoint dont elle ne dispose pas sur place, afin de conserver ses forces vives.